vendredi, avril 11, 2008

Le Devoir

Enfin un journal sérieux entre dans la fièvre des séries avec une entrevue inédite avec une fan de 80 ans, 19 coupes, 4 pieds de haut...

Comme une chronique de Jean Lajoie mais dans Le Devoir



De Morenz à Kovalev
Le Devoir

Guillaume Bourgault-Côté


À 80 ans, Jeanne-d'Arc Larocque attend impatiemment sa 19e coupe Stanley

Jeanne-d'Arc Larocque ne mesure pas cinq pieds. Elle a l'apparence des dames âgées chez qui se confondent fragilité et délicatesse. N'empêche que c'est elle, le plus solide et le plus fidèle des partisans du Canadien. Et pour cause: à 80 ans, elle complète sa 55e saison en tant qu'abonnée. Et elle attend impatiemment de voir son équipe remporter sa 19e coupe Stanley.


«Quinze ans sans coupe, c'est un record. Je n'ai jamais passé autant de temps sans voir la coupe. Et je commence à avoir hâte. Assez que je me demande si je vais la reconnaître quand elle reviendra à Montréal... »

Façon de parler: la coupe, elle la connaît par coeur. Depuis ses débuts comme spectatrice, en 1952 -- la même année que Jean Béliveau --, le Canadien l'a remportée à 18 reprises, dont 13 fois sous ses yeux, au vieux Forum. Des statistiques inégalées dans le sport professionnel nord-américain -- sinon par les Yankees de New York, au baseball --, qui font virtuellement de Mme Larocque la plus titrée des partisans de hockey en Amérique.

Sa légende a d'ailleurs fait son chemin au Centre Bell. Depuis que le Canadien a souligné son ancienneté, il y a deux ans, Mme Larocque se fait saluer dans les corridors. Les gardiens de sécurité lui offrent leur bras pour l'accompagner à son siège. Et elle signe parfois des autographes, elle qui n'en a jamais demandé à aucun joueur. «Les gens viennent me voir et me disent: "C'est vous?"»

Un jour, Henri Richard l'a invitée à sa table après l'avoir reconnue. «Mme Larocque, je suis content de vous rencontrer, lui a dit le Pocket Rocket. Pour une fois qu'il y a quelqu'un de plus petit que moi dans la place!»

Ainsi, Le Devoir est allé la rencontrer chez elle la semaine dernière. Question de discuter Canadien et passion du hockey à l'aube des séries qui, pour la première fois depuis longtemps à Montréal, promettent un printemps éventuellement glorieux.

Dans le six et demi de Mme Larocque, rue Molson, les boîtes sont empilées un peu partout. Après 48 ans de cohabitation, elle s'est récemment décidée à vendre son immeuble pour habiter un appartement plus petit et mieux desservi. Il ne reste donc plus que trois décorations aux murs: une photo signée par l'ancien lanceur Claude Raymond, une autre de Mme Larocque avec les Canadiens Mathieu Dandenault et Francis Bouillon, puis le laminé d'un article consacré à la dame l'an dernier.

Plusieurs autres souvenirs ont été vendus, d'autres empaquetés, mais la plupart d'entre eux se trouvent simplement dans le scrapbook impalpable de sa mémoire. Un livre étonnant et unique dont la première page a été écrite en 1937, au moment du décès de Howie Morenz. La grande vedette de l'époque s'était brisé une jambe lors d'un match au Forum. Les suites plus ou moins directes de cette blessure avaient entraîné sa mort, deux mois plus tard, et le Tout-Montréal avait été secoué. Les funérailles célébrées au Forum avaient attiré des dizaines de milliers de personnes.

«La tête collée sur le poste de radio», Jeanne-d'Arc Larocque a suivi cet événement avec une émotion rare. Elle n'avait pas dix ans. «C'est drôle à dire, mais c'est comme ça que j'ai commencé à aimer le hockey. Ça m'avait frappée, de voir qu'un joueur pouvait être autant aimé. Après, j'ai commencé à aller voir des matchs du Canadien junior, puis du Canadien.»

Toujours en cachette, bien sûr, puisque ses parents ne voulaient pas qu'elle aille seule au hockey à une époque où les gradins étaient occupés en quasi-exclusivité par des hommes. «Je devais bien être la seule femme seule qui était là. C'était assez particulier. Mais ça ne me dérangeait pas.»

Un billet pour 1,75 $

Son histoire est celle d'une passion jamais assouvie qui aura fait du hockey et du Canadien les grands compagnons de vie de Jeanne-d'Arc Larocque, célibataire de tout temps. Pour elle, la «ville est hockey» depuis plus d'un demi-siècle. En fait, sa vie est hockey.

Dans la victoire comme dans la défaite, la fièvre ne baisse pas. Et chaque soir de match depuis l'achat de son premier billet de saison, en 1952, Mme Larocque s'est rendue au Forum puis au Centre Bell pour voir son équipe. C'est sa tradition, son hobby. Sa passion.

Elle ne tient plus le compte précis, mais elle a probablement assisté à environ 2500 matchs depuis 55 ans. «Je n'en ai pas raté plus de deux ou trois par année», dit-elle avec une fierté toute discrète. Elle n'a manqué qu'un seul grand soir, celui de l'émeute du Forum, en mars 1955. Son père, un sergent-détective, ne voulait pas qu'elle soit impliquée dans la casse anticipée.

Sinon, rien n'arrête Mme Larocque lorsqu'il est question de hockey. Pendant des années, elle s'est accordé une semaine de vacances en Floride... en s'assurant que le Canadien ne jouait pas à Montréal au cours de ces sept jours. «Souvent, je descendais de l'avion à 14h, je revenais porter ma valise à la maison et je prenais immédiatement l'autobus pour être au Forum à 19h», dit la dame, qui a travaillé toute sa vie comme fonctionnaire au ministère du Travail.

Son record d'absentéisme a été établi cet hiver («Peut-être cinq parties»). La faute aux trottoirs enneigés, Mme Larocque n'ayant jamais dérogé à sa routine d'aller au hockey en utilisant les transports en commun. «Quand j'ai commencé à aller au Forum, on avait quatre billets d'autobus pour 25 ¢. Le billet de hockey me coûtait 1,75 $. Et les joueurs ne gagnaient pas plus de 5000 $ par année.»

Petit sourire en coin: «Ç'a changé depuis ce temps-là, non? Aujourd'hui, ça me coûte 4000 $ pour un billet de saison dans les blancs [aux deux tiers des gradins, du «côté où le Canadien attaque deux fois»], et les joueurs gagnent des millions.» Sans compter qu'une petite bière fraîche coûte près de 10 $...


Boum Boum

Depuis 55 ans, Jeanne-d'Arc Larocque a donc presque tout vu des exploits et des déboires du Canadien, en saison comme en séries. Richard, Béliveau, Lafleur, Plante, Dryden, le Big Three, Roy, Kovalev: elle a vu jouer tous les plus grands mais n'en a toujours préféré qu'un seul: Bernard Geoffrion, le gendre de Howie Morenz. «Quand il était sur la glace, il donnait toujours son maximum, explique-t-elle. Les autres étaient bons, mais moi, c'était Geoffrion. C'est comme ça. Et en plus, je le trouvais sympathique.»

Elle a aussi vu le hockey évoluer dans tous les sens. Les principales différences? «La vitesse et la robustesse», dit-elle. «Dans le temps, ils n'avaient presque pas de pads. Mais les joueurs ont commencé à se donner des petits coups sur les jambes, les bras, les épaules, et maintenant, ils ont de l'équipement partout.»

Mais peu importe la façon de jouer, le plaisir de regarder le jeu demeure intact pour Mme Larocque. À 80 ans comme à 25. «Tant que la santé va tenir, je vais être au Centre Bell, jure-t-elle. Et comme le hockey, c'est la santé, eh bien je vais être là un bon bout... » Assez, souhaite l'octogénaire, pour voir la 25e coupe du Canadien et le centenaire du club, en 2009.


Merci à Alain pour l'envoi

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