L'histoire, dans la marde
LE PASSÉ ENTERRÉ
L’histoire dans les toilettes
Catherine Boisclair
Le Soleil
Québec
L’intendant Bigot aurait importé des abricots en période de famine et pourrait avoir consommé du chanvre. Voilà les premières hypothèses émises à partir de matières fécales du XVIIIe siècle dans lesquelles une poignée d’archéologues plongent les mains, depuis mai, afin de découvrir l’histoire... dans les toilettes.
« Si on reste plus que quelques minutes penchés pour creuser, on devient étourdi», souligne Julie-Anne Bouchard Perron, en pointant les latrines du second Palais de l’Intendant, rue Vallières, dans le Vieux-Port. « La merde sent encore après toutes ces années. On dit que c’est un grand cru ! » blague-t-elle. La jeune femme de 24 ans codirige la fouille avec Lorenzo Alberton. Ces deux archéologues sont aidés de quatre fouilleurs, dont Samuel Dupras et Geneviève Lachance.
Une fois qu’ils ont mis la matière dans des sceaux, les fouilleurs utilisent divers tamis pour séparer les déchets des objets d’études : de la merde, des bouchons en bois, des sceaux en cire, des balles de plomb, des bouts de tissus, des noyaux de fruits, des souliers en cuir... Des souliers en cuir ? « À l’époque, il n’y avait pas de cueillette de déchets », raconte Geneviève. Les objets indésirables ou brisés étaient donc jetés aux toilettes.
Les fouilleurs se prêtent à un travail très méticuleux et répétitif, puisque les échantillons sont souvent les mêmes. « On a tellement trouvé de noyaux de pruneaux, on sait qu’ils n’étaient pas constipés ! » rigole Julie-Anne. La découverte d’un bâton de cannelle devient l’évènement de la journée. Samuel s’imagine qu’« avant d’arriver au Québec, il a sûrement traversé l’Atlantique à partir de la France, et qu’avant, il arrivait de l’Inde ou d’ailleurs ».
Julie-Anne se dit l’unique archéobotaniste québécoise étudiant un sujet local. En plus de la fouille qu’elle codirige, elle travaille sur son doctorat en sociologie de l’alimentation au Québec entre 1534 et 1840, à partir des graines trouvées dans les latrines. Pourquoi les graines ? C’est la partie des végétaux qui se conserve le mieux, explique la jeune femme.
Les odeurs désagréables, les gestes répétitifs, les positions inconfortables, rien n’embête les fouilleurs. La protection du patrimoine et de la mémoire collective demeure la motivation suprême, confie Samuel avant de s’en retourner tamiser la merde du Palais de l’Intendant.
Merci à Fred de l'envoi